Le soleil commençait péniblement sa lente descente derrière les tours du château, peu à peu sa lumière si réconfortante laissait place à sa sœur plus glaciale, affamée, vipérine : la pénombre. Les couleurs si vives des arbres s’éteignaient peu à peu, les fleurs jusqu’alors ouvertes et accueillant la chaleur bienfaitrice de l’astre divin, se refermaient sur elles-mêmes pour entrer dans un profond sommeil qu’elles ne quitteraient qu’à l’aube prochaine.

Gabriel traversait tranquillement les longs couloirs de pierres pour se rendre vers la bibliothèque, ses yeux se posaient nonchalamment sur cette nature qui s’endormait plus profondément à chaque minute passante. Le spectacle était presque hypnotisant, tant de beauté qui fanait en un simple claquement de doigts. Le jeune homme sortit le bout de papier qu’il avait récupéré sur le tableau d’annonce : le troll se promenant près de la bibliothèque n’avait, pour le moment, commit aucun acte répréhensible, il semblait s’être simplement perdu.

Ramener une montagne de muscle de trois mètres de haut chez lui ne serait certainement pas une chose facile, mais fort heureusement ses cours sur les créatures magiques lui donnaient des armes qu’il pourrait amplement mettre à profit.

Précipitant son pas, il s’empressa d’arriver dans le petit jardin proche de l’immense bibliothèque. Proche de celui-ci, il pouvait entendre des grognements d’impatience mêlés à de l’étonnement, des pas lourds raisonnaient et faisaient trembler le sol. Certainement que ce monstre saccageait, malgré lui, le jardin dans lequel ses pieds piétinaient la luxuriante verdure entretenue par une main de maître du jardinier. Les râles devenaient de plus en plus intenses mais semblaient exprimer les mêmes sentiments que plus tôt.

Gabriel se cacha derrière la poutre d’une alcôve menant à l’intérieur du jardin, il inspira profondément, se forçant à être le plus discret possible pour éviter d’effrayer la bête. Sa tête dépassa légèrement de derrière les pierres pour admirer le problème à résoudre : un troll adulte armé d’un épais gourdin qu’il traînait derrière lui, laissait son regard ahuri glisser sur les plantes et les quelques statues habillant le jardin. Les marques de ses pieds ne laissaient aucun doute sur le chemin qu’il avait emprunté pour arriver jusqu’ici : une épaisse couche de boue faisait office de semelle compensée tatouait les dalles d’habitude si propres. Le jeune sorcier remonta de son regard de braise le chemin pour apercevoir une immense brèche dans un des murs faisant rempart avec le monde extérieur : le trou imposant pouvait aisément laisser passer une créature de son envergure et rien n’indiquait que le troll était à l’origine de cette destruction. Peut-être qu’un sort mal maîtrisé d’un étudiant en était la cause.

S’armant de sa baguette, le jeune Horned Serpent réfléchissait à un moyen efficace et rapide d’amener la créature avec lui. L’affronter directement le conduirait certainement à l’infirmerie s’il devait se retenir et blesser trop grièvement le troll ne l’aiderait pas. D’autant plus que la directrice ne souhaitait pas la mort de la créature, sans quoi elle se serait chargée de lui sans devoir même se déplacer de son bureau.

Les méninges du garçon s’adonnaient à un balaie des plus intenses, les idées s’entrechoquaient pour électriser ses synapses bouillonnantes, ses méninges fulminantes cherchaient inlassablement une solution qui conviendrait au garçon et à la créature. Un ardent désir naquit en lui, étonnant, lugubre, comme un but qu’il pourchassait, non pas soudain, mais bel et bien ancré en lui comme les racines d’un rosier que personne n’aurait taillé. Affronter un tel monstre n’était pas une occasion qui se présentait tous les jours, les professeurs, leurs cours, tout était encadré, drapé d’une nauséabonde bienveillance afin que tous s’entraînent sans subir les conséquences de leurs erreurs. On falsifiait le monde dans lequel ses enfants grandissaient, dérobant à leurs mirettes juvéniles les réalités parfois trop violentes auxquels ils se heurteraient un jour.

L’esquisse d’un sourire vipérin habilla son visage :

« On dit qu’il faut combattre le feu par le feu… non ? » murmura-t-il en maintenant fermement sa baguette.

Son poignée se leva et fit un mouvement ample et sec tandis que ses lèvres laissèrent s’échapper un sortilège : « serpensortia ». Un reptile bondit du bout de la baguette et heurta le sol, la langue du serpent fendait l’air à vive allure comme pour capter les informations chimiques éparpillées dans l’air. Gabriel ne s’arrêta pas là, un simple python ne suffirait pas à abattre un troll, loin de là, le monstre l’écraserait sans même lui prêter attention.

Sortant de sa cachette, le jeune homme effectua à nouveau un mouvement ferme et sûr, sa baguette trancha l’air et sa bouche laissa raisonner le maléfice d’amplificatum. Là, le serpent se mit à grossir, s’allongeant de quelques mètres, son corps pourtant déjà épais sembla gonfler pour occuper davantage d’espace. Le python remua de tout son long, zigzaguant sur lui même pour adopter une posture menaçante, un sifflement plus intense raisonnait, sa tête se redressait comme pour prendre de haut son ennemi. Le troll se retourna, surpris, il détailla le reptile dans un premier attend avant que son regard ne se pose sur le sorcier qui trônait fièrement derrière celui-ci. La gueule ouverte, le reptile laissa le soin à son adversaire d’admirer une étonnante lignée de dents aussi aiguisées que nombreuses.

« Rien de mieux qu’un monstre pour en combattre un autre ! »

Un râle agressif fit vibrer les murs entourant le jardin, la créature semblait furieuse et prête à écraser quiconque sur son passage, elle leva son gourdin vers les cieux pour impressionner ses assaillants. Gabriel ignorait pour l’instant l’étendue de son erreur et les conséquences qui en découleraient, il jubilait presque à la simple idée de combattre une créature aussi forte qu’imposante.

La pointe de sa baguette fixait le troll, un dernier instant de répit faisait monter la tension qui devenait de plus en plus palpable, le frisson enivrant avant la bataille parcourait son échine, l’adrénaline pulsait dans ses veines et faisait palpiter son cœur.

Un hurlement meurtrier vint briser ce silence, le troll chargea avec une rare violence, le serpent ouvrit sa gueule pour saisir à la gorge son ennemi, malheureusement le gourdin s’abattit plus rapidement que prévu. Le bois heurta le crâne du python qui s’enfonça dans le sol, la puissance du coup était telle que des mottes de terre virevoltèrent au-dessus de leur tête. Le sol trembla puissamment, le sorcier resta stupéfié tandis que sa créature jonchait le sol, inerte en un seul coup. Le monstre hurla à nouveau comme pour asseoir sa supériorité après avoir montré sa force titanesque. S’élançant cette fois-ci vers le jeune homme, quelques mètres à peine les séparant, Gabriel eut à peine le temps de formuler un sortilège de défense.

« Protego !!! »

Il hurla, effrayé à l’idée de finir en charpie. Le gourdin heurta le bouclier, protégeant le garçon du coup, mais le propulsant en arrière. L’arme, quant à elle, vibra fortement, faisant tressaillir le bras de la créature qui recula de quelques centimètres en la laissant tomber au sol. Ejecté comme une simple feuille dont on se débarrassait du revers de la main, le sorcier glissa et s’étala sur les dalles en pierre. Il se releva avec peine, encore sous le choc, son instinct de survie le guida derrière une autre poutre, se cachant…

Son souffle était court, saccadé, teinté de crainte et d’angoisse. Sa cachette de fortune ne demeurerait pas bien longtemps inconnue du troll. Ce dernier lâcha un énième râle de colère, ramassant avec agacement son arme de fortune qu’il lâcha plus tôt.

Adossé contre la pierre, Gabriel laissait ses méninges turbiner comme les rouages infatigables d’une usine : trouver une solution, conduire la créature loin d’ici sans l’affronter à nouveau, l’éliminer était parfaitement exclu et il ne comptait pas réitérer son erreur. Il réfléchissait intensément. Aucune solution ne paraissait plausible à l’exception de la fuite, mais ce serait là admettre sa défaite et son incapacité à contenir et maîtriser un troll adulte, c’était intolérable, écœurant, mais son corps ne pourrait pas encaisser un autre coup comme celui-ci, sans quoi il tomberait certainement dans les pommes avant de se retrouver en charpie.

Si son corps possédait des limites, la magie, elle, n’en avait aucune. Le jeune sorcier se résigna à adopter une stratégie plus fine et travaillée. Le bruit des pas du monstre se fit de nouveau entendre, il se dirigeait sans conteste vers le garçon qui se retrouvait bloqué, impossible de sortir sans être à découvert, rester caché ici mènerait à un tête à tête des plus effroyables. Ses pieds piétinèrent le sol, reculant le plus silencieusement possible jusqu’à ce que son dos heurte péniblement un mur. La créature se courba pour passer l’alcôve, elle était bien plus imposante que ce frêle couloir de pierre, avançant lentement mais sûrement vers l’Horned Serpent.

Tenant à deux mains sa baguette, il la leva vers le ciel avant d’effectuer des gestes lents et discrets - speculum reflectitur - sa bouche murmura ces quelques mots avant qu’une fine parois de verre s’anime face à lui, s’étalant sur toute la hauteur et la largeur du corridor. Dos au mur, il retenait sa respiration, priant pour que son subterfuge fonctionne. Un simple mais grand miroir faisait simplement obstacle à une créature de plusieurs centaines de kilos, le troll passa sa tête et tomba rapidement nez à nez avec un double de lui-même. Gabriel, scotchait derrière celui-ci, admirait avec crainte le spectacle.

Tout d’abord étonnée, la créature se stoppa net, détaillant les traits si familier du visage qu’elle voyait, elle poussa un râle pour déstabiliser ce nouvel ennemi qu’elle rencontra mais n'eut comme seule réponse un reflet qui sembla l’agresser également. Stupéfié à son tour, le troll recula légèrement, craignant une attaque de son double. Gabriel était satisfait, sa supercherie fonctionnait à merveille. Profitant de l’élément de surprise, il lança un autre maléfice.

Un double vaporeux du jeune sorcier naquit derrière le monstre, juste devant la brèche dans le mur. Ce jumeau, parfaitement maître de lui-même mais intangible, était au fait de la stratégie employée par son invocateur.

« Par ici gros tas ! Vient te battre ! »

La copie leva sa baguette pour lancer un sortilège, un banal everte statim qui ne pouvait nullement affecter son adversaire mais suffit à lui faire croire que oui. La lumière jaillissante attira son regard, s’extirpant du corridor pour foncer à vive allure vers le double de Gabriel, le clone s’évapora juste avant que le gourdin du troll ne s’abatte sur celui-ci. Réapparaissant quelques mètres plus loin, à l’extérieur du jardin, le faux sorcier lâcha un petit ricanement avant de provoquer à nouveau son adversaire.

« Allé, par ici, t’as presque faillit m’avoir ! »

Il lança un autre maléfice tandis que la créature suivait ce mirage invincible. Le vrai sorcier sortit de sa cachette pour suivre de loin le spectacle s’offrant à ses yeux, il voyait le troll s’agiter et charger indéfiniment son jumeau dans l’espoir futile de l’atteindre, ignorant que peu à peu il le conduisait hors d’Ilvermorny.

Le show dura de longues minutes jusqu’à ce que le jeune magicien ramène le monstre dans ses terres. Une fois arrivé à destination, le mirage disparu et l’étudiant, pas peu fier de lui-même, pu retourner à l’école, éreinté, gardant en mémoire qu’il avait failli mourir ce jour-là.